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D’une crise à l’autre, la question de la réforme des retraites n’a cessé, au cours des dernières années, de s’éclipser derrière d’autres priorités. Les quelques moments de calme n’ont cependant pas permis d’y voir plus clair sur les enjeux de cette réforme. Souvenez- vous ! En 2017, l’équilibre des comptes semblait garanti durablement et il n’était question de chambouler le système que pour le rendre plus juste. Quelques années plus tard, on ne parle plus que de retarder l’âge de départ en retraite pour éviter que le déficit n’explose. À chaque fois, on se réfère aux experts du COR (Conseil d’orientation des retraites). Auraient-ils changé d’avis ? Seraient-ils versatiles ? Pas vraiment, les raisons de ce changement de pied seraient plutôt liées aux aléas et soubresauts des prévisions en matière de démographie.
Réforme des retraites : le déséquilibre implacable de la pyramide des âges
En regardant dans le rétroviseur le vieillissement de la population, on comprend assez rapidement quelle est la nature du problème du financement des retraites. Le ratio entre les personnes âgées de 20 à 64 ans et celles âgées de plus de 65 ans, ne cesse de baisser. Supérieur à 4 en 2000, il était encore à 3,5 en 2011, et se situe désormais à 2,67. En d’autres termes, la proportion entre, d’une part, ceux qui travaillent et cotisent, et, d’autre part, ceux qui perçoivent les pensions, évolue nettement en faveur des seconds. Sans surprise, cela ne va pas s’améliorer. En 2070, ce chiffre devrait tomber à 1,76.
Ces projections démographiques, réalisées par l’Insee, permettent d’anticiper le futur niveau de la population active, et la proportion entre cotisants et retraités. Aujourd’hui, il y a 1,7 cotisants pour chaque retraité. En 2070, il ne devrait plus y en avoir que 1,5. À règle constante, les critères qui ont un impact sur cette répartition sont la fécondité, l’espérance de vie, le solde migratoire, mais également les taux d’activité et de chômage.
L’Insee bat et rebat les cartes
L’Insee a publié, en juin 2022, de nouvelles projections mises à jour pour la période 2021-2070. Les dernières, qui servaient jusqu’alors de base aux précédentes prévisions du COR, dataient de 2016. Et la révision est loin d’apporter de bonnes nouvelles pour le financement du système des retraites ! En cause, la fécondité revue à la baisse à 1,8 enfants par femme contre 1,95 dans les précédentes projections. En 2021, le COR avait déjà corrigé en partie cette donnée, constatant que les chiffres effectifs de la natalité sur les années de 2017 à 2019 semblaient suivre la courbe du scénario le plus pessimiste.
L’Insee a également revu à la baisse l’augmentation de l’espérance de vie, et ajusté son estimation de l’impact du solde migratoire. Au terme de cette nouvelle analyse, la population française augmenterait jusqu’en 2044 pour atteindre 69,3 millions avant de refluer à 68,1 millions en 2070. Soit à peine plus qu’aujourd’hui… mais avec une composition radicalement différente : 5 millions de plus de personnes âgées de plus de 70 ans, et 5 millions de moins pour les personnes de moins de 60 ans. La nouvelle projection aboutit à une révision importante de la population active à l’horizon 2070. Elle devrait être inférieure de 750.000 à ce qu’elle est aujourd’hui tandis que la précédente projection la voyait progresser de 2 millions.
Quel impact sur le financement des retraites ? La réforme est-elle inévitable ?
France Stratégie a produit une étude originale qui évalue le montant des recettes et dépenses de la protection sociale, dans son ensemble, si la pyramide des âges, aujourd’hui, avait été celle des années passées et à venir, de 1999 à 2039. Il en ressort que, aux conditions actuelles, les comptes sociaux plongeraient de 120 milliards d’euros si la pyramide des âges était celle attendue en 2039. Une somme colossale qui équivaut à près de 5% du PIB actuel et à plus de deux fois le budget de l’Education nationale ! Moins de recettes, plus de dépenses : pour ce qui concerne les retraites, ce n’est pas si étonnant lorsqu’on constate, entre autres, la réduction constante du nombre de cotisants par rapport aux retraités.
Le financement des retraites dans le rouge pour longtemps
Finalement, face à ce défi démographique, la surprise viendrait plutôt des projections du COR qui prévoyaient, voilà quelques années, un retour rapide à l’équilibre des comptes avec un scénario de croissance intermédiaires de 1,5%. Ces projections ne poussaient pas à enclencher une réforme des retraites. En effet, elles intégraient non seulement l’augmentation de la productivité, mais également la mise en application des précédentes réformes des retraites qui prennent effet petit à petit. Par exemple, l’augmentation de la durée des cotisations, entraine progressivement la moyenne d’âge de départ en retraite, aujourd’hui à 62,4 ans, vers les 64 ans à l’horizon 2040.
De même, la baisse relative des pensions, qui ne sont plus indexées sur la croissance, annonce une diminution du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs (et donc des dépenses…) dans les prochaines décennies. Malgré ces mesures, les dernières prévisions du COR ne laissent même plus entrevoir de retour à l’équilibre pour un scénario de croissance moyen à 1,3%*, tandis qu’avec une croissance moyenne du PIB à 1,6% par an, il faudrait attendre 2060 pour repasser dans le vert.
Entre temps, le risque est grand de voir s’accumuler pendant des décennies, des déficits compris entre 0,5% et 1% du PIB, soit en fonction de son niveau actuel, entre 15 et 25 milliards d’euros par an. Avec de telles perspectives, le ton du discours sur l’avenir des retraites a naturellement changé. Et ce dans le sillage d’une révision assez modeste des projections démographiques. En matière de retraites, c’est la démographie qui dicte sa loi.
Damien Vieillard-Baron
*Convention EPR pour Equilibre Permanent des Régimes (ex-convention CCSS) : l’équilibre annuel du régime de la fonction publique de l’Etat et des autres régimes spéciaux est assuré par l’Etat et seuls les déséquilibres liés au secteur privé sont pris en compte.
Sources :
Article écrit par
Amadou Kasse