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La nouvelle réglementation sur la portabilité et la liquidation judiciaire
La portabilité concerne le maintien des garanties frais de santé et prévoyance pour les anciens salariés. La liquidation judiciaire, désigne la procédure légale de cessation d'activité d'une entreprise en situation financière difficile.
Depuis la mise en place du dispositif actuel de portabilité des garanties frais de santé et prévoyance, les contentieux en cas de liquidation judiciaire s’accumulent devant les juges du fond et pour quelques cas, devant la Cour de cassation.
La Haute juridiction vient rendre un arrêt décisif sur le sujet dans sa décision du 15 février 2024 et tranche en faveur de l’organisme assureur. Le marché n’a pas tardé à s’en saisir. La Cour de cassation valide la résiliation du contrat frais de santé d’une entreprise en liquidation judiciaire, mettant ainsi fin aux portabilités en cours.
Jusqu’à présent, les décisions de la Cour de cassation s’orientaient vers un maintien des droits des anciens salariés en portabilité. Ces décisions étaient justifiées par le fait que la législation ne distinguait pas les salariés des entreprises en activité et les salariés dont l’entreprise avait fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire. Elle précisait que ce maintien était conditionné à l’absence de résiliation du contrat d’assurance santé.
Pourquoi la portabilité et la liquidation judiciaire est un tel sujet pour les organismes assureurs ?
La loi prévoit une gratuité pour le maintien des droits de frais de santé et de prévoyance en portabilité. Dans ce mécanisme, les dépenses liées aux anciens salariés en portabilité sont financées exclusivement par mutualisation avec les actifs. Face à une entreprise qui disparait progressivement, le nombre de salariés actifs, donc cotisants, diminue jusqu’à disparaitre. De ce fait, la plupart basculent en portabilité.
L’organisme assureur se retrouve donc avec une absence de financement, pour un groupe croissant d’anciens salariés en portabilité, pouvant être couverts jusqu’à 12 mois après leur sortie.
On constate habituellement que les anciens salariés en portabilité représentent entre 2% et 5% du total des consommations. Cette répartition peut toutefois augmenter considérablement dans les secteurs d’activités soumis à de forts mouvements de personnel, notamment ceux saisonniers.
Quel est le sort des contrats frais de santé et prévoyance lors de la liquidation judiciaire ?
Auparavant, les assureurs disposaient d’un droit de résiliation des contrats trois mois après la date de liquidation judiciaire. Ces règlementations ayant été abrogées, les contrats ne pouvaient donc plus être résiliés pour ce motif et devaient être maintenus tant qu’ils n’avaient pas été résiliés par le liquidateur. Nombreux juges de la Cour d’appel ont d’ailleurs confirmé les demandes des mandataires judiciaires en ce sens.
Certains assureurs ont bien envisagé de mettre en avant une résiliation pour « contrat sans objet » puisque le souscripteur a disparu et que l’objet du contrat était la couverture des salariés. Cependant les dispositions d’ordre public du code de commerce rendaient inapplicable ce mécanisme.
Pour l’assureur, le maintien des garanties devait donc perdurer pour les bénéficiaires de la portabilité.
Les faits de l’arrêt du 15 février 2024
Dans le dernier cas présenté à la Cour de cassation, une société ayant souscrit un contrat collectif de frais de santé est déclarée en liquidation judiciaire en avril 2019. Cela entraine alors un licenciement de ses salariés pour motif économique.
L’organisme assureur résilie le contrat frais de santé le 24 octobre 2019. Il prend effet le 31 décembre 2019 et utilise la procédure classique et contractuelle de résiliation avec l'envoie d'un recommandé avec accusé de réception.
Prenant acte de sa résiliation, l’organisme assureur met fin aux portabilités en cours le 1er janvier 2020. Le mandataire judiciaire l’assigne en justice afin de poursuivre les droits à portabilité des anciens salariés malgré la résiliation.
La Cour d’appel, bien que validant le procédé de résiliation annuelle, estime que la résiliation « n’affectait pas les garanties en vigueur, au jour de leur licenciement, des anciens salariés ». La résiliation n'affecte donc pas les droits de portabilité des anciens salariés.
Les parties portent le contentieux devant la Cour de Cassation, attendue pour ses décisions.
Portabilité : la résiliation annuelle considérée comme valide
La Cour procède à un rappel des dispositions de l’article L911-8 du Code de la Sécurité sociale qui régit la règlementation de portabilité et en fixe les conditions. Ces dispositions s’appliquent en cas de liquidation judiciaire dès lors que les salariés licenciés remplissent les conditions :
- Droits ouverts avant la rupture du contrat de travail
- Prise en charge par l’Aide au Retour à l’Emploi
- Bénéfice des garanties en vigueur dans l’entreprise
Elle affirme également que l’employeur ne doit pas résilier le contrat avec l'organisme assureur. La nouveauté de la jurisprudence se trouve dans la suite de l’exposé « Cette résiliation, peu important qu'elle intervienne après le licenciement des salariés concernés, met un terme au maintien des garanties au bénéfice des anciens salariés ».
En d’autres termes, une résiliation annuelle régulière peut mettre fin aux droits de portabilité après le licenciement des salariés. A défaut de « garanties en vigueur dans l’entreprise » comme l’exige l’article L.911-8 du Code de la Sécurité sociale.
Cette règlementation favorise les assureurs, affirmant qu'une obligation patronale sans cotisation est inéquitable.
L’application de cette décision et l’arrêt des portabilités restent conditionnés aux échéances annuelles des résiliations, possibles uniquement avant chaque 31 octobre de l’année en cours. La résiliation infra annuelle n’étant pas ouverte à l’initiative de l’assureur.
Article écrit par
Estelle Baldereschi