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Une fois n’est pas coutume : l’accord global qui encadre la mise en œuvre du « zéro reste à charge » pour les prothèses dentaires semble réjouir les syndicats de chirurgiens dentistes. En effet, les négociations sur la modération des tarifs en matière de prothèses dentaires se sont accompagnées d’une revalorisation des soins courants, espérée et réclamée par les professionnels depuis de longues années. Le compromis obtenu devrait avoir un impact bien plus positif sur la santé bucco-dentaire des Français que sur l’équilibre financier du système de santé.
En ligne de mire : le renoncement aux soins et la prévention
Selon une enquête de l’Assurance maladie réalisée en 2016 auprès de 29 000 personnes, 39 % des assurés ont déjà renoncé à se faire poser une prothèse dentaire, dans la grande majorité des cas, pour des raisons financières.
Et pour cause, le reste à charge moyen des ménages sur les actes relatifs aux prothèses dentaires atteint les 40 %1, sachant par exemple que le prix moyen d’une couronne céramo-métallique atteint 540 €, le reste à charge actuel est de 216 €. Ces montants peuvent même être triplés dans le cas d’un bridge.
Si les prothèses ne représentent que 12 %2 des actes réalisés par les dentistes, elles représentent les deux tiers de leur chiffre d’affaires et du reste à charge supporté par les assurés. En effet, les prix des soins conservateurs sont régulés par le principe des tarifs opposables alors que les prix des prothèses sont libres ce qui selon Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), génère un phénomène de compensation entre les deux types de soins.
C’est pourquoi la constitution d’un panier de soins « 100 % santé » couvrant les besoins en prothèses dentaires devait nécessairement passer par une revalorisation des soins conservateurs. Et la hausse des tarifs ne sera pas homéopathique. Par exemple, la dévitalisation d’une molaire passera de 82 € à 110 €. L’objectif est non seulement de donner satisfaction aux dentistes dans le cadre de la négociation de la convention 2019 -2023, mais également de réorienter les soins vers la prévention en améliorant la prise en charge des soins courants. Dans cette optique, un examen bucco-dentaire destiné aux jeunes de 3 à 24 ans sera intégralement pris en charge, et de nouveaux soins efficaces seront remboursés comme l’application de vernis fluoré chez les enfants présentant un risque de carie.
3 niveaux de soins pour une mise en œuvre en 3 étapes
Pour honorer la promesse du « reste à charge zéro » sur les prothèses dentaires, la réforme prévoit la création de trois niveaux de soins. Le panier « 100 % santé », contenant les soins intégralement remboursés, couvrira 46 % des actes relatifs aux prothèses dentaires (constatés en 2017). Des couronnes céramiques seront ainsi accessibles pour les dents visibles (incisives et canines et première prémolaire) tandis qu’il faudra se contenter d’une couronne métallique pour les autres dents. En moyenne, le passage au « reste à charge zéro » fera économiser aux assurés 100 à 200 € par couronne ! La réforme instaure également un panier de soins à tarifs maîtrisés, correspondant à 25 % des actes réalisés. Les couronnes ceramo-métalliques des deuxièmes prémolaires en feront partie. Pour en bénéficier, les patients en seront de leur poche, mais ils auront la garantie d’un reste à charge modéré puisque les prix pratiqués seront plafonnés à 550 euros. Enfin, 29 % des actes actuellement pratiqués et qui font appel à des techniques ou matériaux plus sophistiqués resteront proposés à prix libres.
Le passage au « reste à charge zéro » se fera en trois dates clés. Le 1er avril 2019, s’appliquera tout d’abord un premier plafonnement des prix pour les couronnes. Le « reste à charge zéro » sera ensuite effectif à compter du 1er janvier 2020 sur les couronnes et les bridges, à la faveur d’un nouveau plafonnement. Enfin, les prothèses amovibles en résines intégreront le panier « 100% santé » au 1er janvier 2021.
Un impact en matière de santé publique à la hauteur de l’effort financier ?
Le coût de ces mesures est estimé à 1,2 milliards d’euros sur 5 ans, dont près de 700 millions devraient être pris en charge par l’Assurance maladie, et 500 millions par les organismes complémentaires santé. Ce qui fait craindre une augmentation des cotisations. À court terme, si le renoncement aux soins s’avère aussi élevé que les études le disent, un effet de rattrapage massif pourrait bien générer des surcoûts importants. À plus long terme, la convention signée avec les chirurgiens dentistes garantit, en revanche, une certaine maîtrise des tarifs. Mais surtout, elle laisse espérer une réduction des dépenses globales en favorisant la prévention et les traitements visant à conserver les dents plutôt que le recours forcé à la prothèse dentaire. Aujourd’hui, seuls 43 %3 des Français consultent leur dentiste au moins une fois dans l’année tandis que 85 % des Danois et 71 % des Allemands le font. La réforme en cours devrait faire remonter ce taux en éliminant les barrières tarifaires qui tiennent les Français éloignés de leur chirurgien dentiste. L’équilibre financier de la réforme s’appuie donc sur un pari osé qui a pourtant valeur de proverbe : « mieux vaut prévenir que guérir ».
2-Mercer
3- Council of European Chief Dental Officers, CECDO data sheet 2014.
Article écrit par
Damien Vieillard-Baron